Un article de Pauline Sauthier
Sur les réseaux sociaux, il poste des images de portes arrachées, d’une boîte aux lettres de La Poste descellée et emportée, de cabines EDF démontées. Le 9 avril, le street artiste C215 (Christian Guémy) fait un triste état des lieux des peintures qui lui ont été volées dans la rue ces derniers jours. Sur une des portes, il avait peint le portrait de son éboueur à Vitry-sur-Seine : « Il le voyait tous les jours depuis 2009. » Dans leurs commentaires, les internautes ajoutent des photos qu’ils ont prises d’autres endroits laissés vides par le vol des œuvres de C215.
Ce n’est pas la première fois que cela lui arrive mais selon C215, le phénomène s’est accentué : une dizaine de ses peintures ont disparu. « Elles ont peut-être été volées en une nuit et découvertes petit à petit », explique l’artiste.
Sur sa page Facebook, les commentateurs se divisent en deux camps : ceux qui compatissent et s’émeuvent de voir la disparition des œuvres. Et ceux pour qui le geste illégal du vol va de pair avec l’illégalité de la peinture sur les murs, et qui considèrent que le street art est par essence éphémère. C215 s’agace : il travaille en accord avec la mairie de Vitry et La Poste.
Space Invader aussi touché
C215 n’est pas le seul street artiste à rencontrer le problème. Avec ses mosaïques en forme d’extra-terrestres inspirées d’un jeu vidéo culte, Space Invader est touché lui aussi : « J’utilise des colles très fortes et des carreaux très fragiles. Avant de récupérer une pièce, [les voleurs] en cassent neuf. »
Maître Pierre Lautier, avocat spécialisé dans la propriété artistique, juge la situation « compliquée » parce que « le street art est à la rencontre de différents droits ». Il explique : « Dans le cas de C215, le propriétaire des droits c’est le propriétaire de la porte. » En l’occurrence, c’est le bailleur social, La Semise, qui portera plainte contre le vol de ses portes. Mais elles ne seront pas reconnues comme œuvres d’art par la police ou les assurances. La Semise espère qu’à l’avenir, en signant des conventions avec les artistes, leurs œuvres, reconnues comme telles, seront davantages protégées et plus faciles à retrouver.
C215, lui, entend bien faire valoir son droit à la propriété intellectuelle et son droit de suite. « Il peut en effet s’opposer à la reproduction et à la représentation de la porte à condition de démontrer qu’il est l’auteur de la peinture », confirme Maître Lautier. L’avocat ajoute cependant être plus souvent confronté à des histoires de contrefaçon ou à la vente de photographies de street art par d’autres artistes qu’à des problèmes de vol.
Basquiat, Keith Haring, Banksy…
Ceux-ci ne sont pourtant pas nouveaux. Dans les années 1980, les peintures de Basquiat et Keith Haring étaient déjà dérobées dans le métro de New York. Plus récemment, un collectif, Stealing Banksy, s’est créé pour « récupérer » les œuvres de Banksy avec l’accord des propriétaires des murs…
Pour s’opposer aux vols et aux faux, un système d’authentification a été mis en place. « Quand on parle d’œuvres à 100 000 ou 150 000 euros, explique Arnaud Oliveux, expert en urban art de la maison de vente aux enchères Artcurial, les acheteurs ne sont pas prêts à prendre le risque d’acheter une pièce sans être sûrs de pouvoir la revendre. » Car sans certification, la plupart des galeries et des salles de vente n’acceptent pas. C’est justement pour contrer ces vols qu’un organisme s’est créé pour authentifier les œuvres de Banksy, le pest control – qu’on pourrait traduire par antiparasite.
En France aussi, c’est la cote du street art, toujours en hausse, qui fait se multiplier les vols. Parmi les boîtes aux lettres de C215, une d’entre elles est partie à 23 000 euros lors d’une vente aux enchères, les mosaïques de Space Invader atteignent les mêmes gammes de prix. Il s’agit ici de ventes légales, avec des œuvres réalisées pour être vendues en galerie et accompagnées de certificats d’authenticité.
« Une démarche égoïste »
Mais C215, qui suit l’évolution de ses œuvres à travers le monde sur les réseaux sociaux, a parfois retrouvé sur Instagram certaines de ses peintures volées en vente dans des galeries. Space Invader a, lui aussi, été alerté sur le commerce de certaines de ses mosaïques dans des galeries, des salles des ventes ou des sites de vente en ligne. A chaque fois, pour lui, la situation s’est réglée à l’amiable. « Je trouve ridicule que des “collectionneurs” puissent acheter des morceaux de carreaux inauthentifiables et sans valeur », dit-il, « c’est dur à vivre pour l’artiste ». Il raconte que souvent, ses mosaïques, plutôt que d’être traitées comme du vandalisme, ont été adoptées par les habitants du quartier, qui les ont parfois réparées après des tentatives d’extraction infructueuses. « Ceux qui volent sont dans une démarche égoïste, c’est l’inverse des propos du street art . »
Pour C215, c’est justement cette démarche qui est remise en question par les voleurs : « Je travaille pour la communauté. Si je fais des œuvres petites, sur des boîtes aux lettres ou sur des portes, plutôt que sur des murs, c’est dans l’idée de ne pas écraser le spectateur, pour qu’il puisse s’identifier à mes portraits. Ce serait dommage, alors qu’on m’autorise à peindre sur le mobilier urbain, qu’on me le déconseille de peur des vols. » Avec une perche télescopique de son invention, Space Invader accroche ses mosaïques de plus en plus haut, le plus loin des convoitises. Il ne veut pas changer sa façon de travailler mais se « ruine » en colles fortes dans l’espoir de décourager les voleurs.
- Pauline Sauthier
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